Le Royaume des ombres - Signe blanc - Portrait de Frédéric Tavernini
Noé Soulier

21.10.2022
22.10.2022

Le Royaume des ombres

Le Royaume des ombres est une série d’expériences sur le vocabulaire de la danse classique. Par des décalages multiples, je tente de perturber sa logique interne et de la rendre visible spatialement et temporellement. Je n’ai utilisé que des pas appartenant à la tradition académique pour focaliser l’attention sur l’agencement des mouvements. L’utilisation du vocabulaire classique est ainsi au service de l’exploration de ce vocabulaire.

Dans la première séquence, les différents pas se succèdent par ordre alphabétique. Le système de la danse classique est relativement résistant à ce type de manipulation. Si l’on associe deux pas de danse classique au hasard, cela produira le plus souvent une transition acceptable. C’est cette résistance que je tente d’éprouver en utilisant différents modes d’agencements. Ainsi la séquence suivante est composée uniquement de pas de préparation. Ce sont les pas de liaison, ceux qui permettent d’exécuter d’autres pas comme l’appel qui précède un saut ou une pirouette. Le danseur tente de faire ces mouvements comme s’il allait réellement exécuter la pirouette ou le saut en question et de s’interrompre au dernier moment en initiant une nouvelle préparation. Ce décalage entre l’intention et l’action du danseur vise à rendre perceptible la manière dont il se projette vers le mouvement à venir.

La dernière séquence est composée d’extraits de ballets du XIXème siècle incluant des personnages masculins, féminins, et fantastiques : La Sylphide (1831), Giselle (1836), Napoli (1841), Paquita (1847), Nathalie ou La Laitière Suisse (1849), Le Corsaire (1858), La Fille du Pharaon (1862), Don Quichotte (1869), Coppélia (1870), La Bayadère (1877), La Belle au Bois Dormant (1890), Le Lac des Cygnes (1895). Ces différents personnages se mêlent au sein de la séquence qui devient une variation de danse classique hétérogène presque monstrueuse.

Signe blanc

Signe blanc poursuit la recherche du Royaume des ombres avec le vocabulaire de la pantomime des ballets classiques. L’interprète commence par énoncer les gestes de pantomime qu’il accomplit. Les gestes effectués corporellement entrent ensuite en conflit avec ceux qui sont énoncés oralement par l’interprète et ce conflit se renforce à mesure que le décalage entre la parole et le geste augmente. Le corps devient le vecteur de messages multiples, et ces messages peuvent se recouper, se contredire ou se compléter. Le sens ne se trouve plus dans le message lui-même, mais dans l’espace entre les messages, entre le visible et l’audible. Cette opposition se transpose ensuite au sein même du corps, deux gestes étant réalisés en même temps.
À nouveau l’écart de sens entre les gestes augmente progressivement jusqu’à ce que l’interprète se trouve écartelé entre des significations contraires. Les gestes sont alors enchaînés dans un flux continu jusqu’à former une séquence à la limite du sens et du mouvement abstrait.

Portrait de Frédéric Tavernini

Que devient un danseur qui vieillit ; de quelle somme d’expériences est-il porteur ? De la découverte du parcours de danseur de Frédéric Tavernini, ayant dansé les chorégraphies de Maurice Béjart, Mats Ek, Trisha Brown, William Forsythe, ou Angelin Prejlocaj est né le désir de produire un portrait : une histoire personnelle où les gestes disent les œuvres traversées — marquant des accents, des points, des articulations.

Entre perception et signification du mouvement, Noé Soulier poursuit son travail de décryptage de la danse en interrogeant cette fois-ci la valeur descriptive d’un geste : le corps du danseur peut-il exposer une danse, la montrer, la raconter sans l’exécuter ? Au fil de ces questions, le regard est amené à reconstituer la mémoire de ces danses à partir des signes qu’elles ont laissés dans la chair d’un interprète. En suivant Frédéric Tavernini pas à pas, Noé Soulier dessine une histoire révélant le discours implicite du mouvement.